Dans la famille londonienne, on demande le Vels Trio.
Jamais en manque de ressources, Londres nous apporte encore et toujours de nouvelles perles, après Yussel Kamal, Shabaka Hutchkins, Yazz Ahmed, Binker & Moses et bien d’autres, on se lance cette fois-ci à la découverte d’un trio ralliant des inspirations très variées allant de Soft Machine à Robert Glasper en passant par Brad Mehldau ou Gong, et qui surfe sur la vague jazz du moment avec une aisance déroutante.
C’est l’histoire de trois musiciens venant de Brighton, dans le sud-est Anglais, avec Dougal Taylor à la batterie, Cameron Dawson à la basse et Jack Stephenson-Oliver aux claviers, qui nous proposent un début EP répondant au nom de Yellow Ochre.
Après s’être rencontrés lors de leurs études, ils décident de former un trio dans le courant de l’année 2012 : « On a commencé comme groupe de rock progressif, je jouais de la guitare à l’époque, et essayais de chanter (rires), on était dans un état d’esprit diffèrent. Puis je me suis mis aux claviers et ça a mis plus ou moins un an pour devenir le Vels Trio, c’est juste arrivé par accident en quelque sorte, on s’est pas posé la question ».
Forts de leurs inspirations variées, les trois anglais parviennent très vite à créer leur univers musical propre, avec pour objectif de tourner un maximum dans de nombreuses salles de concerts dans le pays, voire même en Europe. Chacun des membres apporte sa propre identité au son du groupe, ce qui donne un résultat si particulier, avec les inspirations rock progressif apportées par Cameron, venant tout droit de Canterbury, ville historique du genre où ont évolué des groupes comme Soft Machine, Hatfield and the North, Caravan voire même une partie de Gong.
Dougal a quant à lui une approche plus spirituelle de ses influences, créant depuis quelques années un sanctuaire musical en termes de batteurs, sa volonté est « d’écouter une grande variété de musique, venant d’endroits bien différents, avec des rythmes différents, des émotions différentes … »
Ayant commencé le piano sérieusement que depuis 2013, Jack puise ses inspirations chez des grands noms de l’instrument, Bill Evans, Herbie Hancock ou encore Brad Mehldau. Il était à l’origine très branché sur les grands guitaristes anglais : « je jouais de la guitare jusqu’en 2013, puis j’ai eu une petite crise musicale, j’ai même joué de la flute pendant une semaine ! »
Cet ensemble d’influences musicales permet au trio de disposer de nombreuses méthodes de composition, en fonction du moment, la créativité peut venir d’un album qu’un des membres apprécie particulièrement ou encore d’une jam session ou d’un live en expérimentation, la clé étant de rester à l’écoute du travail des autres, ainsi que de savoir gérer le trio comme une relation amoureuse : « On est secrètement inspirés par le son des autres (…) comme une bonne relation, on parvient toujours à garder ce petit côté épicé entre nous (rires) ».
Après avoir écumé les scènes de la petite ville de Brighton, la découverte de la scène jazz en pleine ébullition de la capitale apporte au Vels Trio un monde d’opportunités. Ayant l’occasion de partager l’affiche avec des références comme Cory Henry, Moses Boyd, Comet is Coming et autres prodiges de cet acabit, leur intégration dans la grande famille du jazz londonien se déroule à merveille, leur offrant la possibilité de peaufiner leurs compositions.
Leur premier EP arrive donc après deux années de tournée, comprenant cinq titres reflétant l’état d’esprit du Trio : « On a joué énormément de morceaux très différents en live, cet album est clairement une combinaison de choses que l’on ressent comme assez abouties par rapport à l’étendue de nos enregistrements ».
A la rencontre entre grooves profonds, arrangements progressifs et beats de hip-hop, Yellow Ochre représente le son d’un trio de jazz pas comme les autres, même si la facilité nous ferait les comparer à des formations comme Bad Bad Not Good ou encore leurs homologues anglais GoGo Penguin :
« on nous compare tout le temps à BBNG, et même si on est tous très fan de ce qu’ils font, ce n’est pas vers ça que l’on tend ». Bien qu’étant très inspirés par le son des canadiens, le Trio anglais parvient à entretenir son propre son, issu d’un travail d’incorporation d’influences variés, et de beaucoup de répétitions, ils peuvent se vanter d’avoir trouvé une identité qui leur convient à merveille.
La scène londonienne a offert de très belles rencontres au Vels Trio, on notera principalement ici celle avec Shabaka Hutchkins, le saxophoniste aux mille projets.
Etant produits par Dan Leavers, producteur du groupe Comet is Coming, l’occasion s’est donc présentée de faire apparaitre Shabaka sur « 40 Points », second titre sur le disque.
Initialement composé pour un saxophone, le trio avait pris l’habitude de jouer ce morceau de beaucoup de manières différentes, faisant régulièrement monter des saxophonistes sur scène pour l’interpréter en live, notamment sur le final très puissant : « l’énergie de fin nous amène à un niveau supérieur musicalement, et Shabaka à réussit à merveille à nous faire vivre ça sur la version studio ».
Sur le reste de l’EP, on retrouve cette même énergie communicative, le trio fusionne à merveille pour proposer un ensemble très homogène, bien qu’initié par des inspirations variées. L’aspect très contemporain de son univers musical est compensé par une rythmique très juste en tout temps, chaque instrument prenant place dans un tout que l’on sent très bien rodé, grâce notamment à des années de pratique en live.
Continuant sans cesse leur route, Jack, Dougal et Cameron ont déjà la tête à de nouvelles compositions, l’univers du trio étant en perpétuelle mouvement, cet EP représente l’image de leur univers musical lors de ces deux dernières années : « ça fait bientôt un an qu’on a enregistré l’EP, donc on a eu le temps de voir notre univers varier depuis. Bien sûr on continue de jouer ces cinq morceaux sur notre set live, mais on travaille aussi sur beaucoup de nouveautés ».
La scène londonienne continue de leur offrir de nombreuses opportunités, et même si le Trio voue un culte très fort pour tout ce qui se déroule outre-Atlantique du côté de Los Angeles notamment : « ils parviennent à amener le jazz en haut des charts, l’exemple majeur reste Kendrick Lamar et son album To Pimp a Butterfly, c’était un tel risque. Il parvient à réunir tous les meilleurs musiciens de jazz de Los Angeles, c’est énorme ! », ils restent attachés corps et âme à la royauté, gardant les américains comme inspirations pour le travail.
Les projets ne manquent pas donc pour le Vels Trio, marquant aujourd’hui le début d’une carrière que l’on espère longue, malgré une musique très aérienne, ces trois jeunes anglais gardent les pieds sur terre, et comptent bien gravir les étapes les unes après les autres : « on préfère jouer notre musique le mieux possible et laisser les choses venir à nous, en attendant de voir ce que l’univers nous apportera ».
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